Accompagnement relationnel Pour une relation à soi et aux autres plus ouverte et apaisée

Mieux communiquer avec nos enfants et mieux vivre ensemble

J’ai animé une conférence à Férel (56) en mars 2008 sur le thème ‘Apprendre à mieux communiquer avec nos enfants et mieux vivre ensemble’. Dans le prolongement de l’intérêt suscité par ce thème, du réel intérêt et implication du public, j’ai eu envie d’agrandir et prolonger quelques notions abordées durant cette soirée-débat.

Il me semble important de repartir des temps forts de cette soirée pour resituer les grandes notions que je souhaite développer ici. La conférence s’est donc déroulée en 3 temps :

Un premier temps de présentation des grands thèmes de la soirée (origine des violences relationnelles, communiquer c’est mettre en commun des différences, c’est aussi répondre à quelques grands besoins relationnels, c’est apprendre à différencier ce qui appartient au registre des sentiments et au registre de la relation…).

Un deuxième temps d’illustration à base d’exemples et de visualisations propres à la méthode ESPERE (mises en scène avec la participation du public des notions importantes en terme de communication). Cette deuxième partie a été l’occasion également de proposer des moyens concrets et des pistes possibles pour sortir des impasses de la communication avec nos enfants et nos proches.

Le troisième temps d’échanges avec le public fut très riche tant les personnes ont osé exposer des problématiques relationnelles en confiance. Il y avait une réelle qualité de partage, d’écoute et d’intérêt. Un moment précieux qui m’a démontré, une fois de plus, qu’il était possible, ensemble, de mettre en commun des différences, des expériences de vie parfois douloureuses, des questionnements multiples, dans un climat de respect propice à l’émergence d’une ‘humanitude’.

Il me semble important de revenir sur ce terme car il est sans doute un fondement essentiel dans la culture de la communication sans-violence. Ensuite j’introduirai d’autres notions à partir de constats faits au cœur de mes expériences de vie pour tenter de montrer l’importance et sans doute l’urgence d’un apprentissage de la communication dès le plus jeune âge.

L’humanitude est un terme qui date de la fin des années 70 et que l’on doit à Freddy Klopfenstein. Il a été repris et enrichi de significations nouvelles par Albert Jacquard, puis Jacques Salomé (1). L’humanitude exprimerait, selon la compréhension que j’en ai, une solidarité dans le vivant, dans nos fragilités, une solidarité faite de douceur et de bienveillance. Elle serait en quelque sorte le terreau fertile et nourricier de notre vivance et de notre confiance en notre humanité. L’humanitude trouve sa pleine expression dans notre communication, dans notre capacité à mettre en commun nos différences pour créer des espaces de réciprocités vraies où chacun peut se sentir accueilli et réconcilié avec soi et autrui. Cette notion d’humanitude me paraît donc être un fondement essentiel pouvant fertiliser en profondeur nos efforts pour le développement d’une culture de la communication sans-violence. J’y reviendrai en conclusion.

Pour revenir au thème principal de cette soirée : ‘Mieux communiquer avec les enfants et mieux vivre ensemble’. Oui, c’est sans conteste un thème qui m’est très cher. D’une part, car je suis père de famille, marié depuis une dizaine d’années, père d’une fillette de 5 ans ½. Et chaque jour s’impose à moi cette évidence : qu’il est urgent d’apprendre à mieux communiquer, à retrouver les chemins du dialogue, du partage, de la réciprocité, de la tolérance et du respect pour mieux vivre avec ses proches. Je crois que la ‘Communication Relationnelle Sans Violence’ que je pratique et transmets depuis plusieurs années dans les stages et ateliers que j’anime, permet de traverser positivement les conflits et crises relationnelles qui me paraissent inévitables tant nos différences (de sensibilité, de croyance, d’opinion, de positionnement face à la vie…) sont parfois criantes et fondent notre altérité face à l’autre.

D’autre part, je vois autour de moi beaucoup de souffrances dans les couples. Des couples qui se séparent après quatre, cinq, dix, parfois vingt ans de vie commune. Je reste étonné et attristé également de voir des amis proches se séparer avec beaucoup de souffrances alors qu’amour et sentiments vrais sont encore présents. Cela m’interpelle, comment se fait-il que l’amour ne soit pas suffisant pour vivre une relation d’amour dans la durée ? Comment se fait-il que l’amour puisse parfois rester inemployé et muselé par des griefs apparemment insurmontables contre celui ou celle que nous avions pourtant choisi comme partenaire pour la vie ? Ces questions montrent que l’amour n’est pas suffisant pour permettre à une relation de durer, et qu’il faudra, au-delà de l’amour, veiller à établir dans nos relations les plus chères une qualité de communication car, quand cette communication est absente, maltraitée ou stérile, l’amour n’est plus nourri, la confiance en l’autre vacille, et les blessures et ombres du passé tendent à refaire surface en provoquant des crises parfois d’une telle violence que le point de non-retour est souvent atteint.

Je vois également des enfants en mal être, noyé dans la confusion de ressentis qui ne leur appartiennent pas en propre, des ressentis qui circulent parfois sans aucune clarté dans des relations bien souvent fusionnelles et mortifères. Cela me touche et me ramène à ma propre enfance à laquelle j’ai eu la chance de survivre ! Non pas qu’elle ait été exposée à des violences éclatantes et sans équivoques, mais précisément, parce que trop bercée par le travail indicible, souterrain et très insécurisant des non-dits, des silences ambigus, des mensonges plus ou moins volontaires et inconscients et des expressions de moi-même avortées, tant la peur d’oser me dire était menaçante et chargée de honte. Oui, il faut du courage aux enfants pour sortir du mur du silence. 80% des jeunes filles subissant des violences sexuelles n’osent pas en parler. Et l’on sait depuis les apports de la psychanalyse que le silence, l’impossibilité de mettre des mots sur ce que l’on a vécu est peut-être la pire des violences, car elle va se crier bien souvent par la violence des maux, par l’inscription dans le corps de somatisations et parfois de pathologies tenaces mettant en péril les forces de vie. Ce que les enfants et parfois les adultes inscrivent dans leur corps ne sera pas toujours lié à des violences extérieures subies. Parfois ce sera l’intensité d’un ressenti qui n’aura pas pu ou su trouver le chemin de la parole vers plus de lumière, parfois ce sera l’expression avortée ou refoulée d’une émotion ou d’un besoin essentiel face à l’indifférence de l’entourage. Toutes ces expressions de soi manquées pourront, selon leur intensité et d’autres enjeux inconscients, s’inscrirent au profond de soi et commencer un travail de sape dans nos énergies de vie.

Oui, apprendre la communication dès le plus jeune âge permettrait aux enfants de peut-être oser et surtout apprendre à davantage se dire au plus près de ce qu’ils ressentent, oser aussi restituer symboliquement des violences subies. C’est parce que je crois au pouvoir des mots, que je crois également aux ressources multiples des enfants face à la violence des adultes ou de leurs pairs, que j’anime des ateliers de ‘Communication Relationnelle’.

Je vois aussi beaucoup d’isolement vécu douloureusement, d’indifférence chez nombre de concitoyens. Je crois que l’esprit du temps y est pour beaucoup. Chose curieuse, nous n’avons jamais été aussi isolés, si peu ouverts à l’autre, fusse-t-il notre voisin de palier, alors que dans le même temps nous n’avons jamais eu autant de moyens de communication à portée de main ! Chaque jour nous recevons une somme d’informations incroyable (par la presse, par internet, par les grandes ondes, par la télé, les campagnes d’affichage, dans nos boîtes aux lettres physiques et virtuelles…) impossible à analyser, choisir, trier, rejeter, assimiler. Il y a deux ou trois siècles, un homme était exposé à autant d’informations en une année (et peut-être plus) qu’un homme de notre temps en une journée ! C’est dire que nous devons veiller à nous protéger des pollutions communicationnelles inévitables qui nous bombardent et parfois nous traversent en une journée ! Notre qualité de vie en dépend. Le ‘Sahel relationnel’ progresse de jour en jour à grands pas et la solitude de l’homme moderne semble proportionnelle à l’avancée et aux prouesses de ses technologies de communication ! La communication virtuelle porte bien son nom ! Bientôt, si nous ne sommes pas vigilants, le ‘Sahel relationnel’ entrera dans nos maisons, infiltrera nos relations intimes, et notre relation à nous-mêmes ! J’exagère à peine.

C’est pourquoi, il y a urgence à se réapproprier une communication vivante, une communication relationnelle qui relie au-delà de nos différences et différends, une communication de proximité, faite de respect et de réelle ouverture à l’autre. Urgence à consentir aussi à un effort de différentiation, à oser mener de petits combats quotidiens, avec modestie et courage, pour nous différencier davantage des conditionnements appauvrissants de notre culture marchande et de notre modernité. Car communiquer c’est apprendre à mettre en commun nos richesses et surtout nos différences. Me vient cette parole de Jean Rostand qui tombe à point : « Quand l’habitude sera d’éliminer les monstres, la moindre tare sera une monstruosité. » Oui, quand l’habitude sera de ne plus tolérer la différence de l’autre, l’altérité deviendra une monstruosité à éliminer. Les dérives de l’eugénisme négatif (qui consiste à écarter certaines personnes qui transmettent de mauvais caractères et ainsi raréfier les tares héréditaires) conduisent à une sélection raciale insoutenable et, dans la même veine, croire à la barbarie de l’autre n’est-ce pas affirmer, par voie logique, notre propre barbarisme ? Oui, il y a un combat à mener pour ne pas glisser sur la pente de l’indifférence, de l’uniformisation et de l’entropie culturelle et idéologique de ce début de siècle marchand… Il y va de notre propre vitalité mais aussi de notre propre dignité et droit à l’unicité.

Apprendre à savoir davantage se différencier pour accéder à une plus grande autonomie relationnelle mais aussi affective se joue dès l’enfance. C’est une nécessité à un plus d’être, à plus de fécondité (humaine et spirituelle) aussi. La Bible commence d’ailleurs, dans le premier récit de la Genèse, par une création scandée par une parole créatrice qui sépare et distingue les éléments confus du tohu-bohu originel. L’appel entendu par Abraham est une invitation à quitter sa terre, sa parenté ouvrant un horizon humain qui dépasse les étroitesses et impasses identitaires : sa descendance sera aussi nombreuse que les étoiles du ciel selon la promesse divine ! Les mystiques savent aussi qu’il faut savoir se quitter pour se trouver… autrement plus grand ! Plus prosaïquement, communiquer aura à voir avec un apprentissage qui aide à mieux se différencier, à mieux se situer vis-à-vis des autres et de soi-même pour mieux mettre en commun et se rencontrer véritablement, car il y a rencontre authentique lorsque nous sommes véritablement deux. Christiane Singer avait une élégante formule pour décrire les deux mécanismes qui nous permettent d’éviter à tout prix cette rencontre : « Le premier est de rejeter l’autre pour délit de différence. Le second est de le « gober » puisqu’il n’y a pas de différence entre lui et moi. »

Toute vraie rencontre, toute vraie communication implique donc une grande exigence, une conscience aiguë du respect et de l’autre. Ce ne sera donc qu’exceptionnel, et la plupart du temps, nous serons donc amenés à tolérer également nos manquements, nos limites, nos vulnérabilités. Alors communiquer, ce sera aussi cela : apprendre à accueillir nos limites avec beaucoup de tendresse et d’amour. Communiquer sera apprendre à respecter les autres mais sans oublier de se respecter soi-même dans ses richesses et ses limites aussi ! Sans quoi nous risquerions de nous illusionner sur un idéal de la communication impossible à atteindre et faisant peu de place à cette ‘humanitude’ qui me semble être le socle nourricier d’un mieux-vivre ensemble.

Patrick Le Guen Mars 2008

(1) L’humanitude est un terme que l’on doit à Freddy Klopfenstein (Humanitude, essai, Genève, Ed. Labor et Fides, 1980). Pour Albert Jacquard il est « ce trésor de compréhensions, d’émotions et surtout d’exigences, qui n’a d’existence que grâce à nous et sera perdu si nous disparaissons. Les hommes n’ont d’autre tâche que de profiter du trésor d’humanitude déjà accumulé et de continuer à l’enrichir. » Pour Jacques Salomé, l’humanitude est notre vulnérabilité douce et bienveillante face au mystère de l’amour. On pourrait dire que l’humanitude est l’art d’être ensemble jusqu’au bout de la vie, l’humanitude est aussi l’ensemble des particularités qui permettent à un homme de se reconnaître dans son espèce.