Accompagnement relationnel Pour une relation à soi et aux autres plus ouverte et apaisée

Les Ateliers artistiques

Créer, c’est donner une forme à son destin (Albert Camus)

Patrick Le Guen, on vous connaît surtout pour l’animation de formations à la communication relationnelle et à la relation d’aide, moins pour vos ateliers artistiques ? Pouvez-vous nous en dire plus sur ces ateliers, ce qui vous a amener à proposer ce type de travail ?

Ces ateliers sont une continuité de mon travail d’accompagnement de groupe, j’y mets en œuvre les mêmes « ingrédients » : l’écoute, le respect des rythmes de chacun, un climat de non-jugement… avec le souci constant de d’accompagner les personnes là où elles en sont… sans rien forcer.

Qu’est-ce qui m’a amené à proposer ces ateliers ? Plusieurs motivations y ont contribué mais aussi une sollicitation extérieure. Il y avait tout d’abord le désir de m’inscrire dans une démarche de gratuité comme bénévole engagé pour un temps dans l’association ’Mine de Rien » (1) à Vannes. J’exerce en libéral comme formateur et praticien à la relation d’aide, et dans cette profession la gratuité n’est pas monnaie courante ! Il faut gagner sa vie comme l’on dit, c’est un principe de réalité, et comme formateur soucieux de me perfectionner et d’agrandir le champ de mes compétences, l’accès aux formations qualifiantes ou aux supervisions de la pratique est souvent très onéreux. Il est donc difficile de s’inscrire dans une activité de manière entièrement gratuite. J’ai souhaité rompre avec ce modèle économique pour susciter d’autres rencontres, d’autres découvertes. Ayant voyagé au Moyen-Orient et en Asie durant de longs mois, j’ai pu goûter un mode de vie où l’argent n’est pas au centre des rapports sociaux. Il était sans doute urgent pour moi de m’engager un peu plus dans une activité bénévole pour me disposer à une forme renouvelée du don de soi et du recevoir.

D’autre part, l’art fait partie de mes expériences fortes de ma vie de jeune enfant et d’adolescent. Dès mon plus jeune âge j’aimais dessiner, peindre, découvrir l’oeuvre des grands artistes des siècles passés. A 15 ans, je connaissais sur le bout des doigts la vie des peintres, leur technique, leur sensibilité, leur vie d’homme et d’artiste. J’ai découvert dans la peinture un chemin de réalisation synonyme de bonheur et de liberté. Et si, en raison d’impératifs familiaux, je n’ai pas suivi cette voie picturale que je pressentais riche de possibles, j’y ai gardé des ancrages forts. Aujourd’hui il me paraît assez naturel d’animer des ateliers artistiques. Et au-delà de ce qui m’est naturel j’ai, somme toute, une solide formation et expérience dans l’accompagnement de groupes et des personnes mais aussi dans les arts-plastiques puisque ayant fait les Beaux-Arts (spécialisation dans la photographie) après des études d’architecture, j’ai parcouru tout un chemin d’expériences photographiques entre 1985 et 2002 dont j’ai rendu compte en 2005 dans d’une exposition intitulée « O(mbre)-Forte » à l’Espace Culturel l’Hermine de Sarzeau.

Vous êtes thérapeute, vos ateliers ont-ils une visée thérapeutique ?

Je me méfie des étiquettes qui peuvent enfermer. Je ne me sens jamais aussi bien dans la relation aux autres et à moi-même que lorsque je laisse les étiquettes au vestiaire. J’aime dans l’art le dénuement et dans ma pratique tendre vers cette pureté d’intention qui est une forme de lâcher-prise sur nos attentes, même si je suis bien conscient que peut surgir là un paradoxe qui traverse toute les relations humaines et qui pourrait s’exprimer ainsi sous la plume d’un Jean-Paul Sartre « une main qui caresse est une main qui se caresse ». Est-il vraiment possible d’être libre de tout désir sur l’autre et de tout désir narcissique ? Cette question s’adresse me semble-t-il à toute personne ayant le désir de vouloir aider son prochain, chacun étant renvoyé in fine à lui-même, à ses possibles et ses limites, et parfois à des éventuelles missions de réparation qui devront être mises à plat dans un travail sur soi (la supervision, on le voit, est importante) afin de ne pas y jouer aveuglément des scénarios déplacés, voire névrotiques.

Ceci étant dit, les ateliers artistiques que j’anime n’ont d’autre ambition que celle de proposer dans un temps de gratuité un parcours « artistique » dans un climat de non-jugement, d’accueil, d’écoute et d’expression. Ma formation et expérience de thérapeute, de parent, mais aussi mon cheminement de croyant contribuent sans doute à mon style d’animation. Ma visée est de favoriser un climat propice pour créer, prendre plaisir, se retrouver dans ses forces vives et se réconcilier éventuellement avec la démarche artistique et, par là, avec soi-même. Car il n’y a rien de pire pour détruire ou mettre à mal toutes les conquêtes vers l’estime de soi que de coller hâtivement nos interprétations, évaluations et jugements sur ce que produit l’autre lorsque, traversant ses zones d’ombre (dans une nécessité toute intérieure), il est sur le point de parvenir à accoucher ce qu’il y a de meilleur en lui.

Vous avez une acuité particulière de ce qui entrave l’expression de soi…

Oui, car j’en ai beaucoup souffert enfant et aujourd’hui encore je reste parfois stupéfait par l’esprit de jugement qui anime certains professionnels qui ont la prétention de former aux relations humaines. C’est un paradoxe qui ne me semble pas très créatif ! Peut-être qu’un jour je reviendrai sur certaines pratiques a-déontologiques pour en dénoncer les hypocrisies corporatistes pas très glorieuses. Mais c’est un autre chapître que je ne souhaite pas développer ici.

Pour revenir à votre question, oui, il y a nécessité de pouvoir donner libre cours et sans jugement (à l’intérieur d’un cadre dont la vertu est structurante) à ce que nous portons à l’intérieur de nous-mêmes. Dans la démarche artistique telle que je la propose, la relation au support (la toile, la feuille, la terre, la pierre…) est fondamentale, elle ordonne en quelque sorte, dans un temps, un espace, les perceptions intérieures en les « normalisant », en les inscrivant dans un espace sociale drainé d’une ouverture à l’autre non discriminante. Lorsque les personnes entrent dans ce travail en se laissant porter, conduire par ce que le geste commande (geste qui contient et traduit toute la personne et son mode de relation au monde dans l’ici et maintenant), elles se permettent d’exister en plus fort (« Créer, c’est vivre deux fois »).

Vous aimez analyser et comprendre ce que vous faites. Est-ce si important ?

Je suis habité par un grand besoin de comprendre les mécanismes du vivant ! J’ai hésité après le lycée à m’orienter vers des études de biologie. Finalement j’ai choisi la voie artistique, ce qui m’a amené sur le tard à m’orienter vers les sciences humaines et la relation d’aide ! Mon besoin de compréhension est sans doute une dimension importante dans ma personnalité et dans mes motivations foncières.

J’ai compris notamment en l’expérimentant et l’analysant dans un deuxième temps, qu’en offrant un espace (non-jugeant, accueillant et valorisant) et un temps (avec un rythme) pour créer, il devient dès lors possible de changer par petites touches la relation à soi-même et à son histoire (qui est celle aussi de notre propre regard). D’ailleurs, tout cela se fait discrètement sans nécessité de prise de conscience particulière.

J’ai remarqué et compris également qu’une relation à soi-même difficile peut se transformer, s’alléger, s’harmoniser dans un travail artistique accompagné qui vise un au-delà de soi-même (l’oeuvre, la production créée possède sa propre existence). Pour ainsi dire la « matière psychique » est mise à contribution pour un autre enjeu que soi-même (avec son lot de soucis) et c’est justement ce déplacement, ce jeu, cet espace libre, retrouvés à l’intérieur de soi, par le truchement de l’objet artistique qui va permettre tout un travail de transformation bénéfique. Lorsque les conditions propices à l’expression de soi dans un lieu et un espace bien définis sont réunies, l’expression artistique peut parfois nous remettre dans le courant de la vie, de notre vie et nous amener à une acceptation plus vivante de soi-même et de notre histoire qui, par définition et tant que nous en sommes les acteurs, n’est jamais close et toujours porteuse de promesses. Pour moi, l’aventure « artistique » est un chemin très valable pour reprendre en main notre devenir, c’est comme cela que je le conçois et c’est cette conscience qui m’habite dans mes animations de groupe, chacun des membres du groupe restant par ailleurs libre de ses choix, ses engagements et déterminations.

Quels sont les points clefs de votre pédagogie : que proposez-vous et pourquoi ?

D’abord, ma priorité est de décomplexer notre rapport à la création. Car les ex-enfants que nous sommes ont bien souvent été maladroitement jugés dans leurs premières expériences artistiques à l’école. Beaucoup d’adultes ont des blocages ou des retenus encore tenaces qui empêchent l’accès à toute une part de créativité et de plaisir. Je propose donc des techniques simples à la portée de tous (avec le moins de contraintes possibles dans un premier temps) offrant un impact esthétique rapide. J’y vois au moins deux avantages : le premier est de décomplexer la personne dans son geste, le deuxième est de valoriser dès les premiers essais les résultats obtenus. Les jugements (c’est bien, c’est mal), les interrogatoires ou les conseils (pourquoi tu as fais ça ? tu aurais dû, tu n’aurais pas dû…) n’ont pas leur place dans le travail que je propose et pour moi il y a toujours des aspects à valoriser même dans les « maladresses ». J’essaie de favoriser la spontanéité et le lâcher prise sur le « bien faire ». Ça me paraît essentiel pour remonter la pente de la confiance en soi.

Pour moi l’acte de création, même dans les mises en œuvre les plus simples, est une métaphore de la vie. L’acte créateur nous confronte à nous-mêmes, la résistance du support à nos propres hésitations, peurs, blocages mais plus positivement aussi à notre désir de dépassement. Assumées ou contournées, les contraintes vécues dans le travail créatif sont le moteur d’une liberté à (re)conquérir.

Les ateliers permettent également de pouvoir parler, nommer ce que nous éprouvons. Je favorise cette expression de soi en ayant soin de poser un cadre sécurisant où chacun peut se sentir libre de dire ou ne pas dire. Il y a des paroles déposées qui lorsqu’elles sont accueilles simplement permettent à la personne de se sentir plus légère, de faire le point ou de faire un pas en avant par rapport à une difficulté. L’écoute non-jugeante renforce la confiance.

Je réfléchis actuellement comment le travail réalisé par chaque personne peut être valorisée au mieux dans l’espace social. Je pense notamment à la confection d’un e-book ou d’un jeu de cartes à partir des productions réalisées.

Quels autres supports, éléments utilisez-vous ?

Je fais découvrir également l’oeuvre d’artistes contemporains au travers de vidéos. Dernièrement j’ai visionné « Les 3 lumières de Truphémus », chacun a été frappé de constater, qu’au-delà de ce qui est montré de l’œuvre, l’artiste parle aussi de la vie, de l’instant fragile, de la beauté du monde, de l’amour, des amitiés, de la mort… Il y a une sagesse, une leçon de vie qui peut nous rejoindre… Ce sont des témoignages précieux de notre temps.

La référence à l’histoire, à tous ceux qui nous ont précédés me semble primordial. Nous avons tous des racines culturelles, même si nous l’ignorons parfois. Pour moi, il s’agit de faire des liens entre ce que la personne réalise spontanément et l’histoire de l’art. Je le fais de manière libre, au travers d’anecdotes, de réflexions ou d’éclairages puisés dans la vie des peintres mais aussi dans la littérature, la philosophie… Ces passerelles entre les différents domaines de l’art ouvrent aussi l’imaginaire, elles permettent d’agrandir le cadre dans lequel nous travaillons, elles ouvrent le regard…

Il m’arrive aussi d’aborder des points théoriques (la perspective, la théorie des couleurs, la loi des contrastes…), souvent ce sont les personnes qui sont demandeuses. J’aime beaucoup cet état d’esprit fait de curiosité, de découverte et d’intérêt à ce que représente la réalisation d’une production artistique. Et je dois dire que je suis admiratif de la qualité esthétique du travail que réalisent les personnes engagées dans ces ateliers. C’est pour moi une belle récompense qui nourrit mon imaginaire créatif !

Entretien réalisé par Marion Le Guen, enseignante ICAM et coach. Décembre 2012

Notes

1 – Mine de rien est une association d’éducation populaire. Elle a pour but de promouvoir – dans les perspectives et par les pratiques de l’Education Populaire – le développement culturel de tous par le partage des savoirs, des savoir-faire et des expériences de chacun. Les initiatives de développement culturel s’adressent prioritairement aux familles, les parents avec leurs enfants.